Un 40ème anniversaire de la Société Franco-japonaise réussi.
Le Consul Général du Japon à Marseille, Mr KITAGAWA Hiroshi et le Dr Patrick PROUZET, Président de la SFJO France, encadrant le Professeur Hubert-Jean Ceccaldi, Président d’Honneur de la SFJO
Les deux journées de célébration des 40 ans de la SFJO se sont déroulées sur les bords de la Méditerranée, dans la très belle et historique Station marine d’Endoume, très exactement là où la SFJO a été créée il y a 40 ans, à l’initiative de son président d’honneur, le Professeur Hubert Ceccaldi de l’Ecole Pratique des Hautes Etudes.
Un évènement qui avait pour but de jeter un regard rétrospectif sur l’histoire de la SFJO et de son évolution, échanger sur l’évolution actuelle des milieux naturels en interaction avec les activités humaines, et tracer les pistes et thématiques d’avenir en s’adressant en particulier aux nouvelles générations.
Après les mots de bienvenue du Dr Thierry Pérez, responsable de la Station Marine d’Endoume, du Dr Patrick Prouzet, Président de la SFJO qui rappelle les principaux objectifs et réalisations de la SFJO depuis 40 années ( voir présentation ci-dessous) ,
de Monsieur Hervé Menchon, adjoint au maire de Marseille en charge des milieux marins et de la biodiversité, et enfin du Consul Général du Japon à Marseille, Monsieur Hiroshi Kitagawa (voir discours ci-dessous)
le président d’honneur de la SFJO, le professeur Hubert-Jean Ceccaldi, nous rappelle les grandes étapes de ces 40 ans d’histoire et évoque les possibles pistes d’avenir.
Le Professeur Hubert-Jean Ceccaldi et ses fameux “petits papiers lors de son exposé sur l’historique de la SFJO.
Après une description précise de la haute signification du logo de la SFJO, il donne un aperçu de quelques développements technologiques majeurs du Japon maritime, tels que le développement systématique des récifs artificiels en zone côtière, et le navire ‘Chikyu’ de forage en grande profondeur. D’autres développements et des pratiques communes ont nourri les colloques franco-japonais organisés alternativement en France et au Japon. Parmi les institutions notoires qui concourent à la coopération entre les deux pays, figure la Maison Franco-Japonaise de Tokyo, qui accueille des chercheurs français dans toutes les disciplines et qui héberge la Société franco-japonaise d’océanographie du Japon. Un certain nombre de thématiques de recherche sont sous-tendues par le concept de ‘satoyama’, plus tard étendu à la mer sous le vocable de ‘satoumi’. Des concepts qui englobent de nombreuses thématiques susceptibles d’orienter les futures activités de la SFJO et sa consœur japonaise, dont, démographie et migrations, résilience des socio-écosystèmes, protection des milieux, éducation/formation de tous les acteurs, valeur et droit du vivant, maritimisation des milieux terrestres.
A la suite de cette intervention doublement fondatrice, sont présentées sous forme de vidéos, plusieurs messages de félicitations et de bons vœux de la partie japonaise, dont le Président de la SFJO du Japon, le Professeur KOMATSU Teruhisa, le Président de l’Institut de recherches Satoumi, le Professeur MATSUDA Osamu et le Président de l’Agence de recherche et d’Enseignement des pêches du Japon, le Dr NAKAYAMA Ichiro.
Message de félicitations du Président de la Fisheries Research and Education Agency Japan.
Satoumi et économie bleue – Articulations, questionnements, et possibles activités pour le futur
Patrick Prouzet rappelle le nécessaire rapprochement entre l’environnemental, l’économique, et le social au nom du développement durable, sans oublier les aspects culturels. Un tel rapprochement nécessite d’être négocié entre acteurs concernés, l’environnemental étant en général ignoré au bénéfice du socio-économique. Les conséquences de ce déséquilibre ne se font pas attendre : disparition des zones humides, utilisation intensive des pesticides, mauvaise qualité des eaux littorales et insalubrité des zones ostréicoles …, avec des échéances constamment repoussées en termes d’objectifs. Face à cela, il convient d’adopter une approche plus globale de minimisation de l’empreinte écologique de chaque usage dans le cadre d’une gouvernance environnementale.
Comme évoquée précédemment, la diversité culturelle « définie comme l’expression des savoirs et des pratiques des différentes communautés locales ainsi que leurs traditions », doit être prise en compte. Au début du 20ème siècle, Tanaka Shozo parlait déjà du ‘satoyama’, plus tard précisé par des travaux tels que ceux de Kenji Imanishi, qui présente la nature comme « un être vivant au sein duquel nous avons toujours été nourris, aux côtés d’une myriade d’autres créatures ». Beaucoup plus tard en 2008, Tetsuo Yanagi proposait le nouveau terme de ‘satoumi’, ou la « restauration active d’une zone côtière à forte productivité et forte biodiversité ».
Tous ces développements forment les soubassements du projet ‘Nature et Culture’ de la SFJO en lien avec les activités qu’elle développe, comme le montre la présentation ci-dessous.
A la suite de cette introduction du projet Nature et Culture de la SFJO, Jean-Claude Dauvin donne un exemple concret d’application à l’échelle de la Manche, « mer côtière mégatidale peu profonde », comparable par certains aspects à la mer intérieure de Seto au Japon. Il parle de ‘japonisation de la Manche’ en lien avec les introductions d’espèces : 152 signalisations d’espèces introduites depuis 1900, dont 54 espèces originaires des eaux japonaises, les deux plus célèbres étant la palourde japonaise (Ruditapes philippinarum), et l’huître Magallana gigas (anciennement nommée Crassostrea gigas), toutes deux introduites volontairement pour le développement de la vénériculture et de l’ostréiculture. A noter que la dernière espèce s’est tellement bien établie qu’elle colonise massivement les zones rocheuses comme à Blainville sur-Mer sur la côte ouest du Cotentin. En matière d’introduction involontaire, J.C. Dauvin cite les vers polydores perforateurs étudiés en collaboration avec une professeure japonaise, Waka Sato-Okoshi de l’université de Sendai.
Comme pour la mer intérieure de Seto, il montre la forte anthropisation de cette mer, espace de coopération avec l’Angleterre malheureusement affaiblie avec le Brexit. Il cite néanmoins la succession de projets européens qui ont permis d’aboutir à une vision stratégique de l’espace Manche, incluant la gestion intégrée des zones côtières (GIZC). Une vision qui est somme toute assez proche de celle du ‘Basic Plan in Ocean Policy’ adopté au Japon. Plus localement, il montre en exemple le processus de concertation et d’engagement multi-acteurs, initié depuis le début des années 2000 pour une prospective environnementale de l’estuaire de la Seine. La question du changement climatique et de ses impacts n’est pas en reste avec notamment la création du GIEC Normand.
On reste malgré tout dans un système très fragmenté et sectoriel, avec une multitude d’initiatives et de structures pas nécessairement reliées entre elles. L’autre défi est celui du développement de l’économie bleue, notamment celui des éoliennes en mer dans le cadre des documents stratégiques de façade et le dispositif de gouvernance qui les accompagne.
En conclusion, la Manche, mer régionale, est un espace maritime propice à une ‘gestion intégrée de développement durable alliant sciences (connaissances des milieux naturels et des impacts qu’ils subissent) et société (culture, perceptions et pratiques), mais beaucoup reste à faire et à inventer pour le futur de ce bien commun.
Penser global, agir local’, c’est ce que rappelle Yves Henocque dans sa présentation qui démarre sur la mise en récit aussi bien global que local des objectifs de développement durable (ODDs). A la racine de ce récit, la santé des écosystèmes marins (ODD 14) et littoraux (ODDs 6 et 15), modérée par les interactions climatiques (ODD 13), conditionne les services écosystémiques au bénéfice des activités humaines (ODD 8). C’est bien sur cette toile de fond que s’inscrivent nos ‘paysages’ terrestres et marins, et c’est typiquement ce qui est au centre du concept satoyama/satoumi tel que repris par l’Initiative Satoyama lancée internationalement depuis 2010 par le gouvernement japonais. Un paysage qui ne doit pas être perçu comme immuable mais au contraire changeant, suivant les dynamiques qui régissent nos socio-écosystèmes, en plaidant pour une ‘nature vécue’ plutôt qu’une nature idéalisée qu’on voudrait mettre sous cloche. Satoyama/satoumi n’est pas un concept fixiste, mais au contraire qui conçoit des interactions et ajustements permanents dans cet équilibre précaire entre fonctionnement des écosystèmes et activités humaines. A ce titre, un des outils utilisés dans l’Initiative Satoyama, mais ignoré par la plupart des Etats dont la France, est l’outil de protection AMCE (Autres mesures de conservation environnementale), inscrit dans les fameux 30 % de protection à atteindre d’ici à 2030. Une AMCE n’est pas une AMP (Aire Marine Protégée) mais une zone où on se préoccupe également de la protection de la biodiversité sur le long terme, notamment de la biodiversité dite ‘ordinaire’ parce que non emblématique. Les autres outils développés dans le cadre de l’Initiative Satoyama sont les indicateurs dont la nature fait bien ressortir ce qui caractérise le concept satoyama/satoumi : diversité des paysages terrestres et marins et protection des écosystèmes ; biodiversité (dont la biodiversité liée à l’agriculture) ; connaissance et innovation ; gouvernance et équité sociale ; activités et bien-être. Contrairement au processus descendant qui, en général, prévaut dans la création d’une AMP, l’AMCE fait beaucoup plus appel à un processus décisionnel ascendant associant décideurs locaux, usagers (dont le secteur privé), praticiens, et grand public, en quelque sorte un projet ‘nature et culture’ local porteur de messages à portée nationale et régionale.
Cette première partie réflexive avait pour but de donner quelques éléments de cadrage pour les présentations et discussions qui ont suivi.
Art de la science, science de l’art – Evolution de la biodiversité marine et impact des activités humaines
Thomas Changeux argumente tout d’abord sur l’intérêt et la nécessité d’avoir une approche historique de l’écologie. De là est né le projet ‘Biodivaquart’ (Biodiversité Aquatique dans l’Art), un projet pluridisciplinaire d’application des méthodes de l’écologie numérique aux données de biodiversité issues d’œuvres d’art figuratives anciennes. Un projet qui consiste à recueillir des œuvres d’art selon leur date, localisation, réalisme en termes de représentation des animaux, et bien sûr l’auteur. A partir de là, tout un travail collectif de reconnaissance des espèces se fait avec l’aide de spécialistes de tel ou tel groupe animal. L’analyse statistique permet de mettre en évidence des variations spatio-temporelles des espèces selon celles propres aux peintures. Il en ressort globalement une baisse générale de représentation des poissons, en particulier d’eau douce, et une augmentation générale de représentation des crustacés et des mollusques que l’on peut attribuer à la pression de la pêche ou la dégradation des milieux, mais également aux habitudes alimentaires.
Il est ainsi possible d’utiliser les œuvres d’art pour mieux percevoir l’évolution historique de la biodiversité aquatique en faisant la part entre ce qui relève de l’écosystème et des effets des filtres techniques et socio-culturels. Les peintures ainsi mises en valeur peuvent produire un choc esthétique, et donc une prise de conscience auprès du grand public. Une journée d’étude internationale a également montré le caractère éminemment pluridisciplinaire et multi-activités de ce type d’approche, qu’il s’agisse de l’archéologie, l’histoire de l’art, l’histoire des sciences, l’écologie historique, ou encore les activités de pêche et de cuisine.
Mais, pour la plupart, comment se représenter le milieu marin et ses êtres vivants sinon par les médias, interroge Anne-Sophie Tribot. C’est en effet l’expérience qui va pouvoir donner un sentiment de connexion à la nature, et qui va influer sur nos pratiques. Pour mesurer le choc esthétique, il existe des outils de mesure de l’attention et de l’exploration visuelle et, comparativement avec la photo, c’est l’œuvre d’art qui stimule davantage en termes de perception et donc d’intégration des connaissances à la jonction entre nature et culture.
Mauro de Giorgi, artiste, donne un exemple d’expérience artistique avec la pratique japonaise du ‘Gyotaku’ qui consiste à faire l’empreinte d’un poisson frais à l’aide d’encre de Chine, une pratique d’immortalisation des prises de pêche.
Vous avez dit biodiversité ? Mais de quelle biodiversité parlons-nous, interroge Charles-François Boudouresque. Pour le grand public, la biodiversité c’est un peu un mot magique avec de belles images et des animaux sympathiques. Le grand public raisonne ainsi par espèces alors que pour l’écologue, il s’agit de savoir quelles sont les espèces présentes et comment elles interagissent au sein de l’écosystème. Il y a ainsi des espèces clé, ingénieures d’écosystème, sans négliger bien sûr les espèces dites patrimoniales qui, selon leur statut (sympathique, emblématique, menacée, rare…), vont faire l’objet de mesures de gestion. C-.F. Boudouresque donne l’exemple du dauphin qui, il y a un siècle, était l’espèce nuisible à éliminer, devenu depuis éminemment sympathique et à protéger ! Il parle ainsi de la ‘biodiversité de luxe’ et de ses dérives, où on en vient à vouloir éliminer une espèce au nom de la conservation de l’autre, comme si toutes deux ne participaient pas au fonctionnement d’un même écosystème. C’est ainsi qu’on arrive à créer de véritables ‘parcs animaliers’ dans des sites comme les Salins d’Hyères, ou encore l’île de Porquerolles. Au nom du maintien d’espèces ‘sympathiques’, ne fait-on pas de la surprotection au détriment de l’équilibre de l’écosystème naturel ? Et pourtant, la diversité des espèces et de leurs habitats au sein d’un écosystème, est essentielle pour le bon fonctionnement de ce dernier. A ce titre, est-ce que la Posidonie ou le Coralligène ne risquent pas de devenir cette ‘biodiversité de luxe’ qu’il faut à tout prix protéger tout en délaissant les nombreux autres espèces et habitats qui, eux, ne sont pas si emblématiques ? La distribution de l’effort porté par la recherche et les mesures de conservation peut être un bon indicateur comme le montre l’exemple de l’Espagne (2003-2007) : mammifères et oiseaux dominent largement alors que poissons, amphibiens et reptiles, ne représentent qu’une faible part des efforts de recherche et de conservation. De même, l’analyse des programmes de conservation de l’Union Européenne montre qu’ils sont fortement orientés vers la ‘biodiversité de luxe’. Nombres d’espèces, qu’elles soient ou non sur la liste rouge de l’IUCN (Union Internationale pour la Conservation de la Nature), sont ainsi délaissées comme c’est le cas du requin marteau en Méditerranée. A l’opposé, on protège les goélands ou la grenouille rieuse, qui prolifèrent et représentent une menace majeure pour les autres espèces.
En conclusion, n’oublions pas la biodiversité ordinaire, celle qui fait fonctionner les écosystèmes, notamment celle qui est invisible comme le plancton dans la colonne d’eau, sachant tout de même qu’en protégeant les espèces emblématiques, on protège indirectement la biodiversité ordinaire. D’une approche centrée sur l’homme, puis sur les espèces, nous devons passer résolument à une approche centrée sur le socio-écosystème.
La fin de la première journée aura été marquée par une réception à l’hôtel de ville de Marseille où les participants ont été reçus par Madame Aurélie Biancarelli adjointe au maire en charge de l’enseignement, de la Recherche et de la vie étudiantes. Madame Aurélie Biancarelli souligne dans son intervention l’intérêt que la ville de Marseille et la Métropole Aix-Marseille attachent à la Recherche Marine et à la protection des espaces maritimes. Son intervention est suivie d’un message de remerciements du Président de la SFJO complété par un discours du Président d’Honneur de la SFJO puis d’un message du Consul Général du Japon à Marseille qui se félicite notamment des nombreux contacts et des liens d’amitiés qui existent entre les SFJO France et Japon et leurs nombreux partenaires.
Paysages marins et sous-marins – Perceptions et réconciliation avec le vivant
A la suite de Didier Réault qui, en tant que président du Parc National des Calanques, fait part de l’historique, en termes d’acceptation et d’appropriation des acteurs concernés, et du fonctionnement du parc avec ces mêmes acteurs, Alexandre Meinesz parle de l’évolution drastique des paysages à travers l’artificialisation des côtes méditerranéennes françaises. Plus de 5300 ha ont ainsi été détruits par 1050 ouvrages gagnés sur la mer. A Nice, plus de 100 m ont été gagnés sur la mer. A Monaco, 90% des fonds de 0 à 20 m ont été détruits. Des exemples qui ne sont pas cependant grand-chose par rapport aux remblaiements massifs en Mer intérieure de Seto au Japon. Par rapport à cette artificialisation massive, A. Meinesz a procédé à une hiérarchisation des atteintes au milieu marin en distinguant deux cibles : la Vie marine et l’Homme, sachant que le changement climatique va faire encore empirer les choses en termes d’impact. Pour faire face, on procède à l’engraissement continu des plages, à la construction d’épis perpendiculaires qui, eux aussi, disparaissent sous la montée des eaux, comme en Camargue. Partout, les digues d’enrochement ou les murs de protection, même rehaussés, sont à termes menacés. Alors, la solution de long terme n’est-elle pas de construire de très grands barrages ? On peut prendre l’exemple de la lagune de Venise (barrage ‘Mose’) mais il n’en reste pas moins que c’est une solution qui risque de devenir rapidement provisoire (hauteur d’eau) et qui est très coûteuse (3 millions d’Euros pour chaque mise en opération du barrage). Les Pays-Bas présentent des solutions à beaucoup plus long terme avec la construction de digues pouvant atteindre 32 km de long. En tout, il y a eu construction de 200 km de digues avec fermetures hydrauliques. En 2008, la commission Delta annonçait +1,30m d’ici 2100 et +4M d’ici 2200 avec, en conséquence, 400km de digues ont été rehaussées. D’autres exemples existent de par le monde, dont le barrage sur la Tamise en Angleterre, celui de Samangeum en Corée du sud, et le ‘Marina Barrage’ à Singapour. Un autre gigantesque projet refait surface avec la fermeture du détroit de Gibraltar tel que l’imaginait le projet d’avant-guerre ‘Atlantropa’ pour créer d’immenses polders. Aujourd’hui, cette idée de barrage de mers entières se propage partout : Manche, Mer du Nord, Baltique, dont le Northern European Enclosure Dam (NEED) entre les côtes du Cornwall et celles de Bretagne (161km !). Quoiqu’il en soit, le niveau de la mer monte vite et il va falloir trouver des solutions autres que ce que l’on connait aujourd’hui pour préserver les biens et services de l’environnement ainsi que nos biens matériels.
Jean-Charles Lardic, ex-responsable du service environnement de la ville et initiateur du projet Récifs artificiels de la baie du Prado, pense que dans les conditions actuelles de gouvernance des collectivités locales, un tel projet n’aurait pas pu se faire. Déjà à l’époque, il a fallu une grande dose de liberté d’entreprendre et de travail collectif pour que le projet puisse voir le jour.
A sa suite, Sandrine Ruitton fait état des suivis qui ont été opérés sur les récifs de la baie du Prado en soulignant l’effet indéniable de réserve et les interactions avec les activités des pêcheurs.
Autre thème de discussion : les activités industrielles et paysages sous-marins, en l’occurrence ceux des tracés de câble qui sillonnent les océans, tels que présentés par Eric Delort. Rien que dans la zone du Prado, ce n’est pas moins d’une quinzaine de câbles à fibre optique qui arrivent. La carte du Service hydrographique et océanographique de la Marine montre l’empreinte anthropique cumulée faite de parcs éoliens, câbles d’export de l’énergie, récifs artificiels, canalisations et câbles à fibre optique. Mais sur quels écosystèmes cette pression anthropique s’exerce-t-elle ? Essentiellement les herbiers de Posidonie et les canyons. Ce qui pose le choix de la route d’installation du câble, un compromis entre la ligne droite, le cheminement à travers les biocénoses benthiques, la présence d’autres câbles et la nécessaire inter-distance entre eux (deux fois la hauteur d’eau), et l’emplacement de la chambre de plage. Dans la zone profonde, le câble n’est pas ensouillé ; il va l’être de plus en plus au fur et à mesure que l’on se rapproche de la côte. Des suivis à 18 mois après la pose montrent la vitesse de colonisation du câble et sa quasi disparition dans le paysage. Au final, la pression anthropique des câbles sur l’environnement, bien que très nombreux, est moins importante qu’on pourrait le penser, sans nécessité de restauration. L’impact visuel est de l’ordre du trait de crayon, préservant ainsi les paysages sous-marins préexistants.
Observation/restauration des milieux littoraux et marins et pêche durable
Laurent Blanc de la ville de Marseille (mission prospective/participation citoyenne) introduit le sujet en mettant l’accent sur les pratiques de la ville en matière de ‘gouvernance ouverte’. Il rejoint complètement les propos de Jean-Charles Lardic sur cette nécessité de changer de formes de gouvernance en citant plusieurs initiatives dont celle de créer une ‘Assemblée citoyenne du futur’ qui puisse débattre ouvertement et en continu des questions de société comme la sobriété dans la gestion de l’eau, ou la ‘ville-nature’ et la démocratie citoyenne.
Faisant écho à ce besoin de participation citoyenne, Laurent Debas nous parle de deux projets de sciences participatives que sont ‘Biolit’ (observation de la qualité des milieux côtiers) et ‘Pelamed’ (revitalisation/réappropriation des organisations traditionnelles collectives de gestion locale de la pêche, les Prud’homies). Il insiste sur la nécessité de reconnaissance officielle de ces efforts d’observation et de gestion citoyenne pour que, petit à petit, ils viennent aussi nourrir de nouvelles formes de gouvernance des milieux littoraux et maritimes. Christian Decugis (responsable de la Prud’homie de Saint-Raphaël – Fréjus – Les Issambres), pêcheur professionnel, renchérit le propos en parlant de pêche durable respectueuse du milieu et de la ressource. En Europe, le principal moyen pour y arriver est le ‘rendement maximum durable’, où ‘quantité maximale de poisson pouvant être pêchée dans un stock dans les conditions environnementales existantes sans affecter le processus de reproduction. En 2024, on estime qu’encore 20% du poisson pêché en France ne relève pas d’une exploitation durable. En Méditerranée, on a plus d’une centaine d’espèces pêchées par 1400 bateaux, alors que seulement une vingtaine d’entre elles sont suivies. La durabilité d’une pêcherie est surtout le fait d’utiliser le bon engin au bon endroit, au bon moment et de la bonne manière. De ce point de vue, le rôle des prud’homies et de la gestion territoriale qui les caractérise, est essentiel à la durabilité de la petite pêche méditerranéenne.
Parlant de suivi des peuplements de poissons et de la pêche menée dans les AMPs de la Région Sud, Laurence Le Direach fait état de l’existant, soit un peu plus de 5000 ha en protection effective. Elle rappelle que le taux de protection intégrale dans les eaux territoriales des côtes méditerranéennes françaises, est très faible, soit 0,35%. Le suivi se fait par comptages visuels en plongée, et par pêches scientifiques comme dans le cas de la Réserve de Cap Couronne. Dans cette dernière, en 29 ans, le rendement moyen /100 m de filet trémail a été multiplié par 4. La pression reste cependant forte puisque 66 % des engins sont calés sur des fonds de moins de 40 m. Dans le Parc National des Calanques, en quasiment 10 ans (2014-2023), on observe une différence importante de biomasse entre ZNP (Zone naturelle protégée) et hors ZNP, ainsi qu’une augmentation de la proportion de prédateurs de haut niveau trophique dans les captures. Par comptages visuels, ce dernier trait est encore accentué dans le cas du Parc National de Port-Cros où, après 50 ans d’efforts de protection (dont la charte de pêche professionnelle), les piscivores sont en proportion notable de l’ensemble des espèces de poissons, un changement qui se fait donc dans le temps long. Cependant, L. Le Direach souligne la difficulté financière à maintenir les séries longues d’observations. Au-delà de l’aspect technique (comptage de poissons, pêches scientifiques, outils déclaratifs et embarquements), le partage des connaissances, la mutualisation des moyens, la concertation avec les gestionnaires et les pêcheurs sont indispensables.
La dernière intervention revient à Thierry Thibaut qui introduit les concepts de restauration et d’équilibres inter-espèces. En Méditerranée, l’algue/habitat la plus commune est Ericaria brachycarpa qui est menacée par la prolifération des oursins liée à la disparition de leurs prédateurs. On arrive ainsi à une bascule irréversible de l’écosystème où les poissons herbivores comme la saupe, vont se multiplier (40 à 50 % de la biomasse des Téléostéens en baie de Marseille). Le cas des réserves comme celle de Port-Cros peut ainsi avoir un effet pervers en favorisant l’augmentation des herbivores qui ne sont plus contrôlés puisque protégés, avec un déclic irréversible des espèces longévives. Le déséquilibre des milieux peut ainsi entraîner un surpâturage, toute entreprise de replantation (algues et Posidonies) étant vouée à l’échec.
CONCLUSION ET PERSPECTIVES
Depuis 1984, date de la création de la Société Franco-japonaise d’Océanographie à la Station marine d’Endoume, un nombre conséquent de séminaires, colloques et rencontres ont été organisées en France comme au Japon.
C’est ce qui constitue la caractéristique première des deux sociétés qui ont organisé 19 évènements internationaux en France et au Japon, le 20ème se tenant au Japon en 2025. Ceux-ci ont traité de sujets divers : aquaculture, pêche, océanographie générale, déterminisme du recrutement, biotechnologies et ces dernières années de thèmes liés aux préventions des risques et catastrophes (Tsunami de 2011 au Japon), impacts et effets du changement climatique sur les écosystèmes côtiers et terrestres, et enfin le développement de l’éolien en mer.
L’organisation de symposiums et rencontres ont permis de nouer des liens avec de nombreuses universités, organismes de recherche, structures scientifiques et techniques, organisations professionnelles, associations et fondations françaises et japonaises. Ceci constitue sans nul doute le socle sur lequel les deux sociétés doivent s’appuyer pour perdurer et contribuer au corpus de connaissances académiques et traditionnelles et surtout aux synthèses nécessaires pour une vision moins sectorielle que ce qui est habituellement pratiqué dans la gestion des biens et services de l’environnement.
Depuis 2017, date du 17ème colloque franco-japonais d’océanographie à Bordeaux, la définition d’un projet « Nature et Culture » validé par les deux SFJO France et Japon permet de se recentrer sur une thématique : l’adaptation au changement qui sera centrale dans les années à venir.
Celle-ci ne peut se faire que dans un cadre de minimisation de l’empreinte écologique de tous les usages, en prenant en compte non seulement une ‘biodiversité de luxe’ couvrant les espèces emblématiques, mais également en s’intéressant à l’ensemble des pratiques de conservation et de promotion d’une biodiversité dont on parle moins et qui pourtant est tout aussi indispensable au bon fonctionnement des écosystèmes.
Cette adaptation au changement se fera non seulement sur la base de connaissances académiques, mais aussi des savoirs locaux, en ayant soin de respecter les acteurs pour qui la productivité des milieux aquatiques est une question de subsistance au quotidien, et de préserver nos patrimoines naturel et construit pour les générations futures.
Conscients d’une nature vécue, en changement permanent, il nous faut travailler à diminuer notre empreinte écologique en faisant évoluer nos pratiques et nos formes de gouvernance à toutes les échelles.
C’est donc via une approche systémique, multi-acteurs, dans un cadre local que nous devons œuvrer pour renforcer cette notion de développement durable, juste et équitable, de développement harmonieux entre équilibres naturels et activités humaines des générations actuelles et à venir.
La Société Franco-japonaise d’Océanographie France apporte et apportera comme sa consœur japonaise et au plus près du terrain, sa capacité à fédérer les acteurs, à diffuser des travaux pluridisciplinaires, à effectuer des synthèses faites par des chercheurs confirmés avec une expérience et un recul important dans leur propre thématique.
La diffusion des évènements organisés par nos deux sociétés est dans ce contexte un élément majeur de notre reconnaissance par le monde de la recherche académique. Le partenariat avec Springer (165.000 téléchargements par chapitre sur les 4 actes de colloque publiés chez cet éditeur international), la parution de la revue La Mer dédiée aux travaux franco-japonais dans le domaine de l’océanographie, doivent être poursuivis.
Le site de la SFJO France : 67 000 visiteurs, 830 000 pages visitées depuis 5 ans, montre l’intérêt que suscite notre société.
Notre capacité à fédérer les acteurs : instituts de recherche, universités, associations et fondations, structures techniques professionnelles et d’enseignements, est également reconnue.
Cela nous permet une reconnaissance au plus haut niveau : Ambassade de France au Japon, Ambassade du Japon en France, Consulat Général du Japon à Marseille, Fondation Sasakawa, Maison Franco-japonaise de Tokyo.
Nos liens avec des communautés d’acteurs français et japonais : pêcheurs, conchyliculteurs dont ostréiculteurs, dans un cadre qui dépasse la seule aide technique et privilégie les rapports humains et d’entraides permettent à la SFJO d’organiser des rencontres franco-japonaises dans un climat de confiance et de partage.
Il nous reste maintenant à mieux structurer nos relations avec le monde de l’enseignement et de l’éducation pour mieux participer « à l’instruction, à l’éducation des jeunes et des moins jeunes et leur montrer la richesse de notre identité ancienne ».
Cela passera aussi par un nécessaire rapprochement avec nos collègues des Sciences Sociales et Humaines pour mieux intégrer notamment les notions de sciences participatives et de recherche action, sans oublier de continuer nos relations scientifiques en océanographie dont l’océanologie physique.
Enfin, dans le cadre de l’adaptation aux changements dont le changement climatique, il est important de se rapprocher du monde de l’industrie pour, au nom de leur responsabilité sociale et environnementale, pour la promotion de solutions innovantes, notamment sur la base du concept satoyama-satoumi, qui définit à moyen terme l’horizon commun des deux SFJOs.
Le prochain rendez-vous se fera au Japon en 2025, dans la ville de Toba, préfecture de Mie, région célèbre pour ses plongeuses Amas et berceau de la perliculture. Nous y rencontrerons nos collègues japonais pour le 20ème colloque Franco-japonais d’Océanographie.